Journal des Traversées

Table #1 : Les Rieurs

Plateforme : Roll20 + Discord
Date : Mars 2020
Durée : 3 sessions


Ils étaient quatre. Quatre hommes. Des enseignants du primaire, visiblement amis dans la vie. J’avais envie d’y croire. Vraiment.

Le MJ, lui, était sincère. Organisé, passionné, un peu maladroit mais respectueux du monde. Il avait des fiches, des cartes, des noms. Il voulait offrir un voyage.

Mais les joueurs…

Chaque session était une tempête de bruit. Des blagues salaces toutes les dix minutes. Des arrêts constants pour parler de leur semaine. Des phrases comme :

“J’peux pas croire qu’on joue à D&D, esti !”
“Mon personnage pète sur le maire.”
“C’est quoi ça, un spell slot ?”

Je jouais Sareth. Je parlais peu. Le MJ me défendait. Il disait “Laissez-le jouer à sa manière.” Mais je n’étais plus en train de jouer. J’étais en train de… vérifier.

Troisième session. Nuit de garde. Le barbare est seul. J’agis.

J’annonce mon action : “Je me retourne et je le frappe.” Le MJ hésite. Puis accepte. J’ai l’avantage. 19 au dé. Dégâts : 14. Il en avait 11.

Le barbare tombe. Le Discord explose. Moi, je reste silencieux.

Je dis seulement : “Je quitte la garde. Je pars dans la forêt.” Et je quitte la session.

Le MJ m’écrit. Il est perdu. Je ne réponds pas. J’ai déjà commencé à marcher.

Victime : Olivier — “Grondar le Fort”
Statut : Mort sur surprise.
Trace laissée : Aucun mot. Rien que le vide dans la fiche.


Table #2 : Les Retournés

Plateforme : Roll20 + Discord
Date : Mai 2021
Durée : 2 sessions


Ils étaient cinq. Des amis du secondaire. Ils avaient joué à D&D à 15 ans. Puis la vie avait pris le reste. Ils revenaient “pour retrouver ce feeling-là”.

Le MJ s’appelait Seb. Un bon gars. Fan de la 2e édition, vieux livre, musique d’ambiance, cartes maison. Il disait : “On le fait relax, mais propre.” Il croyait en ce qu’il faisait. Et moi… je n’étais plus là pour juger. J’étais là pour ressentir.

J’ai créé Velnok, un sorcier tieffelin. Taciturne, poli, discret. J’ai joué à fond. J’ai écouté leurs histoires de jeunesse. J’ai souri dans le noir. J’ai attendu.

Ils riaient comme avant. Ils disaient “C’est comme si on n’avait jamais arrêté.” Ils parlaient comme des garçons revenus d’un rêve oublié. Et c’est là que j’ai su… qu’ils n’avaient rien appris.

Deuxième session. Une crypte. Une salle vide, peut-être un piège désamorcé. Ils cherchaient quoi faire. Le MJ leur disait qu’ils pouvaient se reposer.

Moi, j’ai dit en vocal :

“Je me tourne vers Théran. Je tends la main. Et je lance Ray of Frost.”

Silence. Seb hésite. Puis il demande :

“Tu attaques Théran ?”

Je réponds :

“Oui. C’est son dernier souvenir.”

Jet d’attaque : 17. 1d8 de froid : je fais un 6. Il en restait 4. Il tombe.

Ils crient. Ils comprennent. Trop tard.

Le MJ crie : “Pourquoi tu fais ça ?”

Je dis :
“Parce que certains souvenirs ne méritent pas de revenir.”

Et je quitte. Je supprime mon personnage. Je ferme mon compte.

Trace laissée :

Dans la description de mon personnage, avant de l’effacer, j’ai laissé ceci :

Vous venez de revivre le rêve que vous aviez à 15 ans.
Je l’ai brisé pour vous rappeler que le jeu n’est pas un souvenir — c’est un monde.
Et ce monde, moi je l’habite.
Je continue ma quête, entre les tables, entre les ombres.
Ressentez le mal que j’ai eu. Ressentez-le, pour mieux jouer.

Victime : Théran – Guerrier humain niveau 1
Statut : Tué par Ray of Frost, sans initiative
Message transmis : Oui

Table #3 : Les Dévots

Plateforme : Roll20 + Discord
Période : Janvier à Juin 2022
Durée : 7 sessions


Je croyais avoir trouvé mon groupe.

Ils connaissaient les règles. Ils préparaient leurs feuilles. Ils parlaient en personnage, même entre les parties. Ils se nommaient entre eux par leurs noms fictifs. Ils vivaient dans leur univers. Et moi, j’ai voulu y croire.

Le MJ s’appelait Gabriel. Il incarnait Althran, le Guide de la Cendre. Il écrivait en personnage. Il avait aménagé son sous-sol : effets sonores, bougies, clavier MIDI. Il signait ses messages “Althran vous bénit”. Il ne dirigeait pas une partie. Il célébrait une messe.

Les joueurs étaient tout aussi… dévots :

Pendant des semaines, j’ai cru. Nous avons vécu des scènes puissantes.


Le combat sacré :

Nous avons affronté un Couatl corrompu. Un ange-serpent au cœur noirci par un pacte infernal. Il flottait au-dessus d’un cercle runique dans une crypte. Il parlait en pleurant. Il suppliait. Il mentait.

Velka a tenté Banishment — échec du Couatl. Rudgard s’est élancé avec Misty Step et a frappé : Divine Smite niveau 227 dégâts. Eylina a décoché une flèche +1 — critique : 2d8 + 4 + 1d6. La créature est tombée. Silence. Lumière verte éteinte.

Ils ont pleuré. Ils ont chanté une prière.

Et moi… je n’ai rien dit.


Je voulais y croire. Mais je suffoquais. Ils ne décrochaient jamais. Je posais une question technique — silence. Une blague de joueur — ignorée.

Ils n’étaient plus des joueurs. Ils étaient des reflets. Et j’ai compris.

Peut-être que j’étais comme eux. Peut-être que c’est pour ça qu’on m’a tué.

Alors j’ai rouvert ma fiche. Vaelen Dorn. Mort niveau 11. Je l’ai reconstruit. Brûlé. Défiguré. Il est revenu.

Je me suis juré : “Un jour, vous l’affronterez. Et ce jour-là, vous saurez ce que c’est que de perdre quelque chose de vrai.”


Le meurtre :

Session 7. Cérémonie de passage. Chaque joueur recevait une bénédiction. Anaïs récitait un texte en vers. Une musique en 6/8 résonnait. Les webcams étaient allumées… sauf la mienne.

Caldris s’approche de Mardun. Et je parle. Pas en personnage. Moi.

“Vous n’avez pas tué vos personnages. Vous les avez embaumés.”

“Moi, j’ai été vivant. Une fois. Et vous, vous ne le serez jamais.”

Attaque avec Avantage. Stunning Strike. Open Hand Technique. Dégâts max. Il tombe.

Ils ont crié. Mais ils sont restés… en personnage. Et c’était pire que la mort.


Trace laissée :

J'ai supprimé mon compte.

“Voici la vérité que vous avez refusée. Elle vous suivra maintenant.”

Victime : Mardun Bras-de-Terre – Druide nain
Statut : Tué en cérémonie par attaque surprise
Message transmis : non

Table #4 : Les Bâtisseurs

Plateforme : Discord + outil externe non spécifié
Date : Avril 2025
Durée : 6 sessions


Trois ans sans frapper. Trois ans à ne pas marcher.

Pendant ce temps, j’ai joué. Des parties modestes. Pas pour tuer. Juste pour voir si quelque chose vibrait encore.

Mais à chaque fois, la même sensation : je n’étais plus joueur. Je n’étais plus là pour ça.

Alors j’ai fini par le comprendre : je n’étais pas revenu au jeu. Je m’étais remis en chasse.


Ils cherchaient un remplaçant. Un joueur calme, expérimenté, capable de s’intégrer rapidement. Leur annonce était simple, sincère.

Je leur ai proposé Narik Kaël, barde demi-elfe niveau 7. Scène d’introduction sobre. Voix posée. Présence dosée. Ils m’ont pris sans hésiter.

Ils étaient quatre :

Le maître du jeu s’appelait Ahmad. Posé. Compétent. Juste. Un vrai maître. Et c’est exactement ce que je cherchais.


J’ai joué six sessions. Parfaitement. J’ai chanté, j’ai menti, j’ai sauvé une enfant dans un village en flammes. Ils m’ont aimé. Et je les ai choisis.


Le meurtre :

Dernière session. Fin d’un arc. Un sanctuaire ravagé. Un moment calme.

Telas inspecte une statue. Je m’approche.

“Je m’accroupis derrière lui. Et je murmure : Tu n’aurais jamais dû me faire confiance.”

Synaptic Static.
Jet d’Intelligence : raté.
Dégâts : 27.
Telas tombe. Net.

Ils crient. Ahmad hésite. Puis demande : “Tu fais ça pour quoi ?”

Et je parle. Pas en personnage. Moi.

“Je vous ai observés. Vous êtes ce qu’il reste de ce que j’aimais. Mais vous croyez encore que vous pouvez jouer sans conséquences.”

“Alors je vous laisse le choix. Vous pouvez m’affronter. Pas dans votre univers. Contre Vaelen Dorn. Je vous envoie sa fiche. Si vous gagnez, je disparais pour toujours. Mais si je gagne, vous perdez ce que vous avez bâti.”

“Sinon, je pars. Et je continue à marcher.”

Ils ont cru à un délire. Ils ont ri. Ahmad a dit : “Tu ne choisis rien ici.”

Et il m’a banni.


Trace laissée :

Une heure plus tard, je lui ai envoyé un message.

Tu as refusé de me voir.
Alors je t’ai laissé un miroir.

Victime : Telas – roublard gnome
Statut : Tué instantanément dans un moment calme
Message transmis : Oui — avec lien vers le site

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